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COVID 19 – Le preneur est tenu au paiement des loyers et des charges

Par trois arrêts rendus en date du 30 juin 2022 (n°21-19.889, n° 21-20.127 et n° 21-20.190), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme que les loyers et charges échus pendant les périodes de confinement et de fermetures administratives liées à la pandémie de COVID 19 restent dus au bailleur.

Ce faisant, la Haute juridiction tranche un débat jurisprudentiel et doctrinal particulièrement fourni, écho d’une incertitude et d’une insécurité juridiques qui auront perduré pendant près de deux ans. 

Le présent article constitue une brève jurisprudentielle. Pour une analyse plus complète et détaillée des problématiques en litige, il est renvoyé vers les Rapports des conseillers près la Cour de cassation (Rapport de l’affaire n°21-19.889de l’affaire n°21-20.127 et de l’affaire n°21-20.190) et le communiqué de presse de la Cour.

Sommaire

COVID 19 et exigibilité des loyers et charges : la naissance d'un volumineux contentieux judiciaire

En application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré sur l’ensemble du territoire national.

Jusqu’au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l’exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité (article 3, I, 2° du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant).

Complémentairement, les autorités publiques ont fait interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, dans le but de limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels (Arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du Ministre des solidarités et de la santé).

Ces diverses restrictions ont eu, sur les périodes considérées, des conséquences économiques importantes pour les commerces non autorisés à recevoir du public, qui, malgré une baisse drastique de leur chiffre d’affaires, demeuraient tenus au paiement de leurs loyers et charges au titre de leur bail commercial. 

Lorsque ce fut possible, bailleurs et preneurs ont adopté à l’amiable des mesures permettant de traverser cette période de crise sanitaire (notamment : allègement ou  échelonnement des loyers).

Dans les autres cas, les rapports locatifs se sont inévitablement tendus au regard des intérêts contraires en présence.

Les « loyers COVID 19 » ont ainsi donné naissance à un volumineux contentieux judiciaire eu égard à la question de leur exigibilité. 

Les juridictions ont été appelées à se prononcer sur la problématique suivante : le preneur à bail est-il bienfondé à suspendre ou simplement ne pas payer les loyers pendant les périodes de fermeture du local au public en raison de la propagation de la pandémie de COVID 19 ? 

Les mois qui ont suivi les périodes de confinement ont été émaillés de décisions contraires rendues par les juridictions du fond. 

Une clarification par la Cour de cassation était attendue. 

Celle-ci est intervenue par trois arrêts rendus par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 30 juin 2022 (n°21-19.889, n° 21-20.127 et n° 21-20.190).

Les clarifications apportées par la Cour de cassation dans ses trois arrêts du 30 juin 2022 (n°21-19.889, n° 21-20.127 et n° 21-20.190)

Les plaideurs ont soulevé plusieurs moyens au soutien de leur demande de suspension, d’annulation voire de réduction des loyers dus pendant les périodes de fermetures administratives.

Certains preneurs ont ainsi développé que l’interdiction de recevoir du public, et donc l’impossibilité pour les commerces d’accueillir leur clientèle et de générer du chiffre d’affaires, était susceptible de constituer un manquement de la part du bailleur à son obligation de délivrance d’un local apte à permettre l’exploitation de l’activité du preneur.

D’autres ont défendu que cette interdiction était assimilable à une perte – sinon physique – fonctionnelle de la chose louée.

D’autres encore ont invoqué le fait que la fermeture des locaux caractérisait un cas de force majeure de nature à les exonérer du paiement des loyers et charges.

Certains preneurs enfin ont invoqué le principe de bonne foi des relations contractuelles au soutien de leurs prétentions. 

La Cour de cassation écarte méthodiquement un à un ces divers moyens et confirme l’exigibilité des loyers et charges échus pendant la période d’interdiction de recevoir du public liée au COVID 19. 

L'interdiction de recevoir du public ne constitue pas un manquement du bailleur à son obligation de délivrance

En droit, chacune des parties est tenue d’exécuter ses propres obligations contractuelles en application du principe de force obligatoire du contrat.

A défaut, la partie lésée dispose d’un arsenal de sanction et peut, notamment, décider de refuser d’exécuter ses propres obligations : il s’agit de l’exception d’inexécution, codifiée à l’article 1219 du Code civil : 

Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

De nombreux plaideurs ont alors soutenu que l’interdiction administrative faite aux commerces non essentiels d’accueillir du public s’analysait en un manquement de la part du bailleur à son obligation de délivrance puisque le local était, de fait, inaccessible pour la clientèle, et donc, inutilisable. 

Toutefois, la Cour de cassation censure cet argument, au motif que l’impossibilité d’exploiter résultait du seul fait du législateur et ne saurait dans ces conditions être imputable au bailleur :

13. Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l'impossibilité d'exploiter, qu'elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d'appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution de l'obligation de délivrance.

L'interdiction de recevoir du public n'est pas assimilable à une perte du local

Certains plaideurs ont soutenu que la fermeture administrative du local au public entrainait la perte du local et pouvait justifier une demande réduction du loyer sur le fondement de l’article 1722 du Code civil.

Cet article dispose en effet que : 

Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

Si l’article, qui vise la disparition fortuite de la chose, a vocation à s’appliquer à une disparition matérielle du local, la jurisprudence reconnait de longue date qu’il peut également être actionné en cas de disparition fonctionnelle du local, c’est à dire lorsque son utilisation en est rendue impossible notamment en raison d’une interdiction administrative.

Cet argument commençait à trouver un certain écho au sein de la jurisprudence récente rendue en matière de loyer COVID 19.

La Cour de cassation s’en écarte cependant dans ses décisions du 30 juin 2022.

En effet, elle relève que l’interdiction d’accueillir du public a été prononcée afin de garantir la santé publique, qu’il s’est agi d’une mesure générale et temporaire, sans lien avec la destination du local, et que par conséquent, elle ne peut être assimilée à une destruction de la chose donnée à bail :

L''interdiction (de recevoir du public) a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil .

L'interdiction de recevoir du public ne constitue pas un cas de force majeure pour le preneur

Aux termes de l’article 1218 du Code civil, la force majeure permet au débiteur d’une obligation de suspendre son exécution, voire d’obtenir la résolution du contrat, lorsque survient au cours du contrat un évènement irrésistible, imprévisible et indépendant de la volonté du débiteur :  

Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

Il n’a jamais fait débat que la pandémie de COVID 19 constitue un évènement imprévisible et indépendant de la volonté du preneur.

Toutefois, pour revêtir le caractère de force majeure, encore eut-il fallu que le COVID 19 génère pour le preneur un empêchement irrésistible d’exécuter son obligation de payer les loyers et charges.

A ce titre, la Cour de cassation considère que l’irrésistibilité, pour être reconnue, doit induire un empêchement absolu et définitif d’exécuter la prestation… ce qui ne saurait être le cas de l’obligation de payer une somme d’argent puisque, selon la Cour, il ne peut y avoir de « force majeure financière » (Com. 16 sept. 2014, n°13-20.306).

Dans le cadre de l’arrêt n°21-20.190, le preneur à bail exposait que dans sa relation contractuelle avec le bailleur, il était à la fois débiteur de l’obligation de payer le loyer mais également créancier du droit d’utiliser le local.

Or, la pandémie affectait ses deux conditions puisque, en qualité de débiteur : il ne pouvait plus payer le loyer, et que, en qualité de créancier, il ne pouvait plus jouir du local.

Compte tenu de la jurisprudence précitée réfutant l’idée d’une « force majeure financière« , le preneur argumentait alors que la force majeure était en l’espèce caractérisée, non pas en raison de l’impossibilité à payer le loyer – argument qui aurait nécessairement été écarté , mais de l’impossibilité de jouir du local.

La Cour de cassation censura cependant cette analyse, au motif que, en application de l’article 1218 du Code civil, les caractéristiques de la force majeure s’analysent exclusivement par rapport aux obligations du débiteur, et non vis-à-vis de celles du créancier.

En d’autres termes, la Cour de cassation réfute toute bilatéralisation de la force majeure au bénéfice du créancier empêché de bénéficier de la prestation attendue.

La Cour de cassation confirme par conséquent que la force majeure n’était pas applicable pour ce qui concerne la pandémie de COVID 19 :

 

15. La locataire fait le même grief à l'arrêt, alors « que le preneur qui n'a pu exploiter la chose louée selon sa destination à cause de la fermeture des locaux pendant la crise sanitaire peut obtenir la suspension de son obligation de paiement des loyers pendant cette fermeture, en invoquant la force majeure ; qu'en énonçant qu'à supposer que l'état d'urgence sanitaire constitue un fait de force majeure, le bailleur a fourni un local en lui-même exploitable, étant rappelé que le preneur reconnaît qu'il n'était pas dans l'impossibilité d'exécuter son obligation de payer le loyer de sorte qu'il n'est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure, lorsque le preneur était pourtant dans l'impossibilité d'exploiter les lieux conformément à la destination prévue au contrat, la cour d'appel a violé l'article 1218 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Il résulte de l'article 1218 du code civil que le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure.

17. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que la locataire, débitrice des loyers, n'était pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.

Le bailleur qui a proposé de différer le paiement des loyers ne peut se voir reprocher une mauvaise foi dans ses rapports contractuels avec le preneur

L’exigence de bonne foi dans la conclusion et l’exclusion des conventions constitue l’un des principes cardinaux régissant la matière contractuelle. Il trouve naturellement à s’appliquer aux baux commerciaux.

Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Cette disposition est d'ordre public.

L’exécution de bonne foi impose au bailleur et au preneur un devoir réciproque de loyauté et de coopération.

Dans les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 30 juin 2022 n°21-20.190, la Cour de cassation a considéré que le bailleur avait proposé au preneur de décaler le loyer du mois d’avril 2020, mais que cette proposition avait été refusée par ce dernier.

Dans ces conditions, la Cour en a conclu que le preneur ne pouvait faire grief au bailleur d’une quelconque mauvaise foi :

Réponse de la Cour

20. Ayant constaté que la bailleresse avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d'avril 2020, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, en a souverainement déduit que la bailleresse avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi. .

Clauses spécifiques "COVID 19" dans les baux commerciaux

La position arrêtée par la Cour de cassation en matière d’exigibilité des loyers COVID 19 ne vaut qu’à défaut de clauses contraires dans le bail commercial.

En effet, il convient de rappeler que les parties ont la possibilité dans leur contrat de stipuler des aménagements à certains des textes ayant fondé la position de la Cour de cassation, notamment en ce qui concerne la destruction de la chose louée (1722 du Code civil) ou encore la force majeure (1218 du Code civil).

Les parties peuvent ainsi convenir que la survenance d’une pandémie, quelle qu’elle soit, sera assimilable à un cas de force majeure ou encore que toute fermeture du local sera analysée comme une destruction du local.

Dans la mesure où les articles 1722 et 1218 du Code civil ne sont pas d’ordre public, ces dérogations au droit commun seront considérées – a priori – comme licites par les Tribunaux.

Roméo Mognon
Avocat

Cette publication a un commentaire

  1. Matthieu Licaste

    Très intéressant Maître , merci !

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