Dans un arrêt du 1er décembre 2021, la Cour d’appel de Paris confirme l’application du droit de préemption en cas de cession d’un local à usage exclusif de bureau (CA Paris, 1er Déc. 2021, n° 20/00194)
Sommaire
Qu'est ce qu'un droit de préemption
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (dite loi Pinel) a instauré au profit du preneur à bail commercial un droit de préemption en cas de vente du local par le bailleur. Ce droit de préemption est codifié à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce.
Définition du droit de préemption
Le droit de préemption peut être défini comme « la faculté conférée par la loi à une personne physique ou morale d’acquérir, par préférence à tout autre, un bien que son propriétaire offre de céder, en se portant acquéreur de ce bien, à un prix proposé par le vendeur ou, le cas échéant, fixé par le juge » .
En d’autres termes, le droit de préemption permet au tiers à un contrat de vente d’acquérir par priorité le bien vendu en se substituant à l’acquéreur initial.
Régime du droit de préemption
Le régime du droit de préemption ainsi que ses modalités d’application sont décrits dans notre précédent article : « Droit de préemption du preneur à bail commercial : modalités d’application« .
Application du droit de préemption en cas de cession d'un local à usage exclusif de bureau
La rédaction quelque peu sibylline de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce induit quelques hésitations quant au périmètre d’application du droit de préemption. Des clarifications jurisprudentielles s’avèrent nécessaires. C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 1er décembre 2021 (Paris, 1er Déc. 2021, n° 20/00194).
Hésitations quant à l'application du droit de préemption aux locaux à usage exclusif de bureau
Une lecture attentive du premier alinéa de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce permet de constater que le périmètre d’application du droit de préemption semble limité à la cession des seuls locaux commerciaux ou artisanaux :
Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement (...).
Article L. 145-46-1 du Code de commerce, alinéa 1
Pour autant, la destination contractuelle des locaux donnés à bail commercial peut tout à fait autoriser l’exercice d’une activité exclusive de bureaux. Cette possibilité étant expressément visée à l’article R. 145-11 du Code de commerce :
Le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence (...).
Article R. 145-11 du Code de commerce
La question s’est alors posée en pratique de savoir si le droit de préemption était également applicable en cas de cession de locaux donnés à bail commercial en vue de l’exercice d’une activité exclusive de bureau.
L’hésitation était permise, d’autant que le droit de préemption constitue une restriction aux droits d’un propriétaire de disposer librement de ses biens et, qu’en conséquence, l’article L. 145-46-1 du Code de commerce doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Ce que confirme d’ailleurs le Ministre de l’Economie dans une réponse ministérielle du 22 avril 2021 :
L'article L. 145-46-1 du code de commerce, issu de l'article 14 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (...) a instauré un droit de préférence au profit du locataire (...). Cette disposition contribue ainsi à la pérennité du tissu économique local et à son dynamisme. Néanmoins, le droit de préférence étant une limite à l'exercice du droit de propriété, les conditions d'exercice doivent connaître une interprétation stricte.
Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la relance publiée dans le JO Sénat du 22/04/2021 - page 2702
Dans son arrêt du 1er décembre 2021, la Cour d’appel de Paris apporte une clarification utile.
La Cour d'appel de Paris confirme l'application du droit de préemption en cas de cession d'un local à usage exclusif de bureau
Les faits litigieux sont succinctement les suivants : une société donne à bail commercial un local et deux places de stationnement à une société exerçant une activité d’administrateur de bien et de syndic de copropriété. Aux termes d’une promesse synallagmatique de vente, le bailleur s’engage au profit d’un tiers à lui céder le local donné à bail. Conformément à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, le bailleur notifie toutefois son projet de vente à son locataire qui décide de faire usage de son droit de préemption. Le locataire devient ainsi propriétaire de l’immeuble en lieu et place du tiers évincé.
Ce dernier fait alors assigner le bailleur et le locataire aux fins d’annulation de la vente et de régularisation de la vente du local commercial à son profit.
Débouté en première instance, le tiers évincé interjette appel du jugement.
Le contentieux se cristallise sur l’interprétation du champ d’application de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce.
Le tiers évincé soutient que celui-ci n’était pas applicable au local considéré aux motifs que :
- ce texte n’a vocation à s’appliquer qu’aux locaux à usage commercial ou artisanal ;
- les locaux étaient loués à usage exclusif de bureaux (et donc pas à usage commercial) ;
- les locaux à usage de bureaux ont été expressément exclus du champ d’application de ce texte par le législateur ainsi qu’il résulte du rejet de l’amendement 148 ;
- le droit de préemption instauré au profit du locataire constituant une atteinte au droit de propriété du bailleur, l’article L. 145-46-1 du Code de commerce doit recevoir une interprétation restrictive.
La Cour d’appel de Paris écarte cependant l’ensemble des arguments exposés par le tiers évincé et confirme le Jugement de premier instance dans les termes ci-après:
La Cour rappelle que l'article L. 145-46-1 du code de commerce instaure un droit de préemption au profit du locataire 'lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci', sauf exceptions tenant à l'objet de la vente ou l'identité de l'acquéreur. Les locaux à usage de bureaux ne sont ni inclus expressément ni exclus expressément du champ d'application de ce texte et il est inopérant pour (le tiers évincé) de se prévaloir du rejet de l'amendement n° 148 visant à étendre ces dispositions aux locaux à usage de bureaux dès lors que cet amendement ne visait que les bureaux de professionnels non commerçants pratiquant une activité libérale et que tel n'est pas le cas en l'espèce, le litige portant sur les locaux donnés à bail (X) inscrite au registre du commerce et des sociétés, locataire en vertu d'un bail conclu le 27 mars 2013 et soumis aux dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce. Selon la clause de destination du bail, les locaux sont destinés à l'usage exclusif de bureaux, pour l'activité d'administrateur de biens, syndic de copropriété, location, transaction. Cette activité est une activité commerciale par application des dispositions de l'article L. 110-1 du code commerce. Il s'ensuit que les locaux loués à (X) sont affectés à un usage commercial ; que par conséquent, c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'elle bénéficiait d'un droit de préemption lors de la vente des locaux loués .
CA Paris, 1er Déc. 2021, n° 20/00194
La Cour d’appel de Paris confirme ainsi l’application du droit de préemption en cas de cession d’un local à usage exclusif de bureau.
Roméo Mognon – Avocat au Barreau de Strasbourg