Par un arrêt du 21 avril 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation considère que l’encaissement par le bailleur des loyers et charges versés par le cessionnaire du droit au bail commercial ne vaut pas agrément exprès et écrit du bailleur à la cession (Civ. 3ème, 21 avril 2022, n° 21-11.404)
Sommaire
Rappel des principes juridiques
Que signifie "céder son droit au bail" ?
Le bail commercial est un contrat conclu par au moins deux parties qui s’engagent l’une envers l’autre dans le cadre d’obligations réciproques (ce type de contrat est qualifié de synallagmatique).
Pendant la durée du bail, il peut toutefois advenir que le preneur, en raison d’opportunités ou de contraintes diverses (et notamment économiques), décide de se substituer un tiers dans l’exécution de ses obligations vis-à-vis du bailleur.
Pour ce faire, il est admis – sous certaines conditions – que le preneur puisse céder sa qualité de partie au contrat via le mécanisme dit de la cession de contrat – ou – lorsque la cession porte sur un contrat de bail – de cession de droit au bail.
Règles générales applicables à la cession du droit au bail
Depuis l’entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, la cession de contrat est codifiée aux articles 1216 et suivants du Code civil :
Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé.
La cession du bail est quant à elle régie par l’article 1717 du Code civil :
Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. Elle peut être interdite pour le tout ou partie. Cette clause est toujours de rigueur.
En application de ce texte, le preneur à bail est donc réputé pouvoir céder son droit au bail, sous réserve des éventuelles restrictions prévues au contrat.
A titre de restrictions, le bail peut :
- interdire purement et simplement toute cession du droit au bail ; ou
- n’autoriser la cession du droit au bail que dans certaines hypothèses clairement définies.
Dans ce dernier cas, il peut s’agir de restriction tenant :
- à l’identité du cessionnaire (ex : autoriser uniquement les cessions internes à un même groupe d’entreprises) ;
- à la santé financière du cessionnaire ;
- au respect d’un formalisme particulier (ex : appeler le bailleur à participer à l’acte de cession) ;
- etc.
Les parties peuvent également décider de soumettre le principe de la cession du bail à l’agrément préalable et écrit du bailleur.
Règles spécifiques applicables à la cession du droit au bail commercial
Les principes susvisés trouvent également application en matière de bail commercial.
Avec une exception notable, à savoir que le régime du bail commercial impose de se conformer aux dispositions spécifiques et impératives des articles L. 145-16 et suivants du Code de commerce.
Essentiellement, l’article L. 145-16 précité dispose que :
Sont également réputées non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel. En cas de fusion ou de scission de sociétés, en cas de transmission universelle de patrimoine d'une société réalisée dans les conditions prévues à l'article 1844-5 du code civil ou en cas d'apport d'une partie de l'actif d'une société réalisé dans les conditions prévues aux articles L. 236-6-1, L. 236-22 et L. 236-24 du présent code, la société issue de la fusion, la société désignée par le contrat de scission ou, à défaut, les sociétés issues de la scission, la société bénéficiaire de la transmission universelle de patrimoine ou la société bénéficiaire de l'apport sont, nonobstant toute stipulation contraire, substituées à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail. (...)
Ainsi, en matière de bail commercial, il convient donc de distinguer deux hypothèses : selon que la cession du droit au bail intervient de manière indépendante du fonds de commerce ou, au contraire, résulte de la cession du fonds de commerce :
- Dans le cas d’une cession indépendante du fonds de commerce (le preneur cède sa qualité au contrat mais reste propriétaire de son fonds de commerce), c’est le régime de droit commun de l’article 1717 du Code civil qui s’appliquera. La clause du contrat de bail interdisant purement et simplement la cession du droit au bail serait alors pleinement applicable.
- A l’inverse, le bail ne peut interdire la cession du droit au bail lorsque celle-ci intervient concomitamment à la cession du fonds de commerce. Les clauses d’interdiction étant effectivement réputées non-écrites (à noter toutefois que Les clauses restreignant la liberté de cession sans l’interdire complètement demeurent valables même en cas de cession du fonds de commerce).
Pour en apprendre plus sur les conditions et le régime de la cession du droit au bail en matière de bail commercial, il est invité à se référer à la rubrique « dossier thématique« , catégorie « Cession et Sous-location« .
Interprétation stricte des clauses restreignant la liberté de céder le droit au bail
Les clauses limitant la liberté de cession par le preneur de son droit au bail sont interprétées de manière restrictive par la jurisprudence.
L’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 21 avril 2022 en fournit une nouvelle illustration.
Civ. 3ème, 21 avr. 2022, n° 21-11.404
Dans cette affaire, Mme [H] avait donné à bail commercial un local à M. [M] selon contrat conclu en date du 26 avril 1995. La cession du droit au bail était autorisée par le bail, sous réserve de l’accord écrit et préalable du bailleur.
Cession-Sous Location : « Le preneur pourra céder ses droits au présent bail dans les conditions de la « clause particulière 1 ° DESTINATION stipulée plus haut, mais à la condition d'avoir obtenu préalablement et par écrit le consentement exprès du bailleur et sous réserve d'être à jour de ses loyers et charges...''.
Extrait du bail commercial
Mme [H] céda l’immeuble dont dépendait le local à la société [B] le 23 décembre 2014, qui le céda à son tour à M. [V] le 12 novembre 2015.
Entre temps, M. [M] avait cédé son droit au bail à la société [U] sans prendre le soin de demander et d’obtenir l’accord exprès du bailleur préalablement à la cession .
La société [U] contesta la régularité de la vente de l’immeuble en raison de la violation présumée de son droit de préemption (Cf. article L. 145-46-1 du Code de commerce).
Les parties à l’acte de vente contestèrent pour leur part la régularité de la cession du droit au bail au bénéfice de la société [U], celle-ci étant intervenue en violation des clauses du bail.
La Cour d’appel de Douai (CA, Douai, 13 févr. 2020, n° 18/02720) considéra que bien que la la cession avait été conclue en violation des stipulations du bail et était en ceci irrégulière, le bailleur avait néanmoins tacitement accepté la cession en encaissant les loyers versés par le cessionnaire et en lui adressant une demande de régularisation des charges.
Il résulte de ces éléments que la propriétaire bailleresse, (...), en percevant des loyers de la société [U], postérieurement à la date de renouvellement du bail initialement fixée au 31 mai 2004, et en lui réclamant, par l'entremise de son conseil, des régularisations de charges, a acquiescé à ces cessions et régularisé la transmission du bail commercial du 26 avril 1995 à la société [U], qui dès lors dispose non pas d'un bail verbal mais du bail originel renouvelé. ''.
12. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, d'une part, l'accord de Mme [H] à la cession du bail à la société [U] et, d'autre part, la connaissance par la société BPde l'identité réelle du preneur, la cour d'appel a violé les textes susvisés. ''
La Cour de cassation se livre en l’espèce à une interprétation stricte des conditions du bail.
Après avoir observé que le bail conditionnait la validité de la cession du droit au bail à l’accord écrit et préalable du bailleur, elle en déduit ainsi – fort justement – que la la cession est irrégulière à défaut d’un tel accord et que la perception des loyers versés par le cessionnaire ne saurait valoir régularisation de la cession.
Roméo Mognon – Avocat au Barreau de Strasbourg