Bail commercial : dégradations et remise en état du local – pas d’indemnisation automatique du bailleur – Par un arrêt du 22 mai 2025 (23-21.228), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme ses jurisprudences du 27 juin 2024. En cas de restitution non conforme du local par le locataire à l’expiration du bail commercial, le droit à indemnisation du bailleur est conditionné à la démonstration de l’existence d’un préjudice.
L’existence de dégradations imputables au locataire ne présume pas en soi de l’existence d’un préjudice indemnisable (Civ. 3ème, 22 mai 2025, n° 23-21.228).
Sommaire
Rappel des principes légaux et jurisprudentiels
Obligation de remise en état du local en fin de bail
Sous réserve des stipulations du bail, le locataire est tenu de procéder à toutes les réparations locatives (article 1720 du Code civil) sauf lorsqu’elles résultent de la vétusté ou de la force majeure (article 1755 du Code civil).
Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014), le bailleur et le preneur doivent dresser un état des lieux lors de la prise de possession du local (article L. 145-40-1 du Code de commerce)
Lors de la prise de possession des locaux par le locataire en cas de conclusion d'un bail, de cession du droit au bail, de cession ou de mutation à titre gratuit du fonds et lors de la restitution des locaux, un état des lieux est établi contradictoirement et amiablement par le bailleur et le locataire ou par un tiers mandaté par eux. L'état des lieux est joint au contrat de location ou, à défaut, conservé par chacune des parties. Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues au premier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. (...)
Par principe, et sauf si les parties en sont convenues différemment dans le bail, le locataire doit restituer le local dans l’état dans lequel il l’a reçu (tel que constaté par l’état des lieux d’entrée) (article 1730 du Code civil).
S'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu'il l'a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure.
Le locataire répond des dégradations qui surviennent en cours de bail, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute (article 1732 du Code civil).
Il répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.
Il résulte ainsi de ce qui précède que, sauf clauses contraires du bail :
- le locataire doit restituer le local dans un état conforme à celui attesté par l’état des lieux d’entrée.
- il est en outre présumé être l’auteur des dégradations qui surviennent en cours de bail.
- il doit donc par principe prendre en charge les travaux de réparations nécessaires à la restitution du local dans un état conforme à son état d’origine.
Indemnisation du bailleur en cas de dégradations du local : la nécessité de démontrer un préjudice
Le 27 juin 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu trois arrêts concernant le droit à indemnisation du bailleur en cas de restitution du local par le locataire dans un état non conforme à ses obligations légales et contractuelles (Civ. 3ème, 27 juin 2024, n° 22-21.272, Civ. 3ème 27 juin 2024, n° 22-10.298, Civ. 3ème, 27 juin 2024, n° 22-24.502).
Ces arrêts ont été rendus au visa notamment de l’article 1732 du Code civil (reproduit ci-dessus) et de l’article 1147 du Code civil (dans sa version applicable au litige) organisant les conditions de la responsabilité contractuelle.
Aux termes de ces arrêts, la Cour de cassation précise dans des termes quasiment identiques que :
- la restitution par le locataire du local dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat est de nature à engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du bailleur.
- le préjudice du bailleur peut comprendre le coût de la remise en état des locaux sans toutefois que l’indemnisation ne soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses.
- le juge doit évaluer le préjudice du bailleur à la date à laquelle il statue.
- pour ce faire, le juge doit prendre en compte, lorsqu’elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
Réponse de la Cour Vu les articles 1147 et 1149, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1732 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice : 7. Selon le troisième de ces textes, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute. 8. Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. 9. Selon le deuxième et le principe susvisé, les dommages-intérêts dus au créancier sont de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit. 10. Il résulte de la combinaison de ces textes et principe que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur. 11. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses. 12. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition .
Dans chacun de ces arrêts, la Haute juridiction réaffirme avec constance le principe selon lequel la responsabilité contractuelle du locataire ne peut être engagée que si le bailleur démontre l’existence d’un préjudice directement lié aux manquements imputés au locataire.
Or, selon la Cour de cassation, la seule existence de dégradations ou de non-conformités imputables au locataire ne suffit pas à présumer l’existence d’un préjudice indemnisable.
Autrement formulé, la restitution d’un local dans un état non conforme aux stipulations contractuelles ne permet pas, à elle seule, de caractériser un préjudice ouvrant droit à réparation au profit du bailleur.
Dans chaque cas, il convient de replacer le litige dans son contexte global. Il appartient alors au bailleur d’apporter la preuve concrète du préjudice qu’il invoque.
C’est ainsi que dans les arrêts susvisés, la Cour de cassation a refusé d’accorder une indemnisation au bailleur, malgré la constatation de dégradations imputables au preneur, au motif que le bailleur ne rapportait pas suffisamment la preuve de l’existence de son préjudice, en raison notamment :
- de l’absence de production de devis de travaux de réparation ; et/ou
- de la constatation d’une plus-value lors de la vente du local par le bailleur postérieurement à la restitution du local ; et/ou
- de l’absence de preuve de dépréciation du local à l’occasion de la vente du local trois mois après sa restitution ; et/ou
- de la relocation effective du local par le bailleur malgré les dégradations.
Conditions et mises en œuvres du droit au renouvellement
Confirmation de sa jurisprudence par la Cour de cassation (Civ. 3ème, 22 mai 2025, n° 23-21.228)
La Cour de cassation confirme ses jurisprudences du 27 juin 2024 dans un nouvel arrêt récent du 22 mai 2025.
A la lecture de cet arrêt, un bailleur a donné à bail commercial à un locataire un local équipé d’une pompe à chaleur. Le locataire restitue le local après avoir délivré congé du bail. Il est constaté à cette occasion que la pompe à chaleur est affectée de dégradations imputables au locataire.
Le bailleur assigne le locataire (ainsi que la société en charge de l’entretien de la pompe à chaleur) en indemnisation du coût de remplacement de la pompe à chaleur et de la perte de loyers.
Postérieurement à l’introduction de la procédure, le bailleur décide de revendre le local litigieux.
La Cour d’appel a fait droit aux demandes du bailleur et a condamné le locataire (et la société d’entretien) à l’indemniser de son préjudice lié au remplacement de l’équipement défectueux.
Cet arrêt est cependant censuré par la Cour de cassation au motif que, malgré la constatation de dégradations imputables au locataire, le bailleur ne rapportait pas la preuve de son préjudice dans un contexte dans lequel et ce alors qu’il avait revendu le local.
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1732 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :
7. Selon le second de ces textes, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.
8. Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
9. Selon le principe susvisé, les dommages-intérêts dus au créancier sont de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.
10. Il résulte de la combinaison de ces textes et principe que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur.
11. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses.
12. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
13. Pour condamner in solidum la locataire et la société Lecoq à payer à la bailleresse une certaine somme au titre du remplacement de la pompe à chaleur, dont la dégradation, commise durant l'occupation de la locataire, leur était imputable, l'arrêt retient que, si les travaux ne seront pas réalisés par la bailleresse qui a vendu l'immeuble, son indemnisation, à raison de dégradations commises par la locataire, n'est pas subordonnée à l'exécution des réparations ni à l'engagement effectif des dépenses.
14. En statuant ainsi, sans constater qu'un préjudice pour la bailleresse était résulté de la faute contractuelle de la locataire, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.
Incidences pratiques
Bail commercial : dégradations et remise en état du local – pas d’indemnisation automatique du bailleur – Selon les récentes jurisprudences de la Cour de cassation, la restitution d’un local dans un état non conforme aux stipulations du bail ne suffit pas, en tant que telle, à engager automatiquement la responsabilité du locataire.
Le bailleur ne pourra prétendre à une indemnisation – notamment au titre des travaux de remise en état – qu’à la condition de démontrer l’existence d’un préjudice. Les seules dégradations ou non-conformités constatées ne permettant pas de présumer ce préjudice.
Les juridictions seront ainsi amenées à apprécier le litige dans son ensemble, en tenant compte du contexte et des circonstances postérieures à la restitution du local, telles que sa vente ou sa relocation et le cas échéant l’existence d’une moins-value ou d’une baisse de valeur locative.
Cette position jurisprudentielle s’avère peu favorable aux intérêts des bailleurs dans la mesure où la preuve d’un préjudice peut s’avérer difficile à rapporter en pratique.
Il est donc essentiel, pour tout bailleur souhaitant engager la responsabilité de son ancien locataire en raison de la non-conformité du local restitué, de constituer en amont un dossier établissant précisément la réalité et l’ampleur de son préjudice afin de maximiser les chances de succès de son action indemnitaire.
Roméo Mognon
Avocat